L'État en Afrique de l'Ouest francophone
Pour son cours de Socio-anthropologie politique, Dr Clarisse Tama nous a remis un document de sept différents articles de divers auteurs que je mentionnerai en fin de ce texte. Ces articles ont un thème commun: l'État en Afrique. Dans une approche socio-anthropologique, chacun des auteurs a étudié de près les administrations, les services publics, la bureaucratie dans les pays francophones de l'Afrique de l'ouest notamment le Bénin, la côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal etc. Ce billet est donc une sorte de note de lecture peu exhaustive mais qui pourra inciter son lecteur à approfondir ses connaissances sur le sujet.
Tous les auteurs sont d'accord sur un point : il y a un écart entre le fonctionnement réel des États et les normes étatiques officiellement établies. Mais la manière de percevoir ou du moins d'aborder cet écart diffère. On distingue deux camps : ceux qui l'abordent en terme de « dysfonctionnement » (Jean-Pierre Olivier de Sardan, Giorgio Blundo), et ceux qui l'abordent en terme de « débrouillardise » (Clarisse Tama, Oumarou Hamani). Les premiers insistent sur le côté négatif de la situation, Olivier de Sardan fait par exemple un inventaire des caractéristiques des administrations de ces États: « clientélisme, décalage entre le formel et le réel, « chacun-pour-soi-isme », « privilégisme », mépris des usagers , échange général de faveurs, corruption systémique, la « culture » de l'impunité, l'improductivité, la démotivation des fonctionnaires, le double langage etc. » Les deuxièmes insistent sur le côté positif de la situation. Tama remarque : « Le comportement professionnel peut bien nécessiter la déviation des normes bureaucratiques lorsqu'il s'agit d'une idée de bien commun et de responsabilité vis-à-vis des subordonnés surtout lorsque les normes sont manifestement caduques. Il en résulte que les pratiques informelles peuvent substantiellement contribuer à une efficience ponctuelle de l'action gouvernementale. » . C'est dans cette même veine que que Hamani écrit : « Les fonctionnements imprévus sont parfois des leviers qui impulsent le fonctionnement du service public de la justice. Ils contribuent à suppléer aux faiblesses de l'Etat et à permettre aux services publics de fonctionner malgré tout. ». Notons que ces aspects que soulèvent Mme Tama et M. Hamani, Giorgio Blundo l'appelle « Négocier l'Etat au quotidien » et Olivier de Sardan à propos écrit : « Chaque métier est pratiqué de fait localement d'une façon quelque peut différente du modèle officiel tout en incorporant de nombreux éléments de celui-ci, mais mêlé à des habitudes, des routines et « des tours de main » correspondant à un « savoir faire » spécifique, à des ajustements liés au site, au système locale de gestion, à la nature de la hiérarchie en place aux relations entre collègues, aux contraintes contextuelles, matérielles, financières etc. C'est cet ensemble que nous appelons : « culture professionnelle locale. » » Qu'ils perçoivent tout le contexte en terme de dysfonctionnement ou de bricolage, les différents auteurs plaident tous pour des reformes "par le bas"; c'est-à-dire tenir compte, partir de ces diagnostics pour penser des reformes adéquates.
En tout cas, ces travaux sont à féliciter. Même le milieu universitaire n'échappe pas à la règle.C'est ainsi qu'à l'Université de Parakou, les étudiants ne perçoivent pas leurs allocations à temps, que le restaurant universitaire ouvre tardivement, que le COUS (Centre des Oeuvres Universitaires et Sociales) en général souffre de sérieux problèmes de fonctionnement, que certains étudiants ne maîtrisent pas le système LMD qui régit leur cursus, que pour un congé le rectorat à travers le Recteur publie un communiqué ordonnant impérativement que toutes les facultés et écoles observent le congé, mais chose étonnante, elles programment toutes les cours, et chose encore plus étonnante, et c'est le comble du ridicule, c'est que le même rectorat à travers son organe chargé de l'attribution des salles programme les salles pour cette période. C'est à croire que même au sein des intellectuels la confusion et l'incompréhensions dont parle Claude Fay règne. N'empêche ! Ces intellectuels ne manquent pas d'inventivité: la formule de Hamani non seulement dédramatise tout, mais flatte surtout notre ego : « On se débrouille, et on avance comme ça ! ». Seulement, M. Hamani a oublié de nous dire à quelle vitesse.
Liste des articles:
Clarisse Tama: État "imaginé" versus État "réel": analyse du fonctionnement de l'État béninois à partir de la gestion du personnel enseignant.
Oumarou Hamani: "On se débrouille et on avance comme ça !" Les ressources non étatiques du fonctionnement des tribunaux de grande instance de Niamey et de Zinder (Niger).
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