Qu'est ce qui ne marche pas avec les nouveaux programmes au Bénin ?

Élèves béninois

En deuxième année de Licence (année académique 2015-2016) en Sociologie et Anthropologie à la Faculté des Lettres Arts et Sciences Humaines de l’Université de Parakou, dans le cadre de nos travaux pratiques, nous avions enquêté sur l’Approche Par Compétence (APC), le programme scolaire actuellement pratiqué au Bénin. Nous étions un groupe de cinq Etudiants. Nous avions intitulé le sujet : l’Approche Par Compétence dans le système éducatif béninois : enjeux et défis. 48 personnes au total dont 20 élèves, 12 parents d’élèves et 16 Enseignants/Directeurs ont été interrogés. Voici un extrait brut du rapport que nous avions produit.

Les parents d’élèves et l’APC

L’analyse des discours des différents parents d’élèves montre qu’ils ont une mauvaise appréciation non seulement de l’APC mais aussi du niveau de leurs enfants. De suite, la majorité des parents enquêtés estiment que l’ancien programme est d’ailleurs plus efficace et répond plus aux attentes. Les sentiments dès son avènement dépendent des acteurs. Les parents d’une manière générale n’approuvent pas le fait que l’on ait changé le système. Face aux lacunes actuelles que présentent les enfants, les parents estiment bon de ramener le système ancien, c’est-à-dire l’ancien programme.

L’un des parents d’élèves disait en ces termes : « Le niveau de mes enfants me fait trop pitié, parce que ce sont ces enfants qui dirigeront ce pays un jour, or leur niveau ne sont pas du tout appréciable ». Plus loin un autre disait ceci : « Avec l’ancien programme, certaines matières telles que la dictée question, l’étude de texte ; conjugaison et autres contribuaient à la bonne formation de l’élève. Mais avec le nouveau programme, tout est banni, il n’y a plus ça ; ce qui entraine l’absence de cadres compétents… » A travers ces propos nous voyons que même les parents d’élèves reconnaissent une certaine insuffisance que revêt le Nouveau Programme, L’APC au faite. L’insuffisance résiderait dans le fait que certaines « matières » ont été simplement supprimées avec l’avènement du Nouveau Programme d’étude. 

Pour certains parents d’élèves comme le professeur Jean Claude HOUNMENOU, qui ne rate aucune occasion pour dire sa désapprobation, «… le Nouveau Programme rebaptisé APC a sacrifié des générations entières d’élèves ; des générations entières de Béninois et finalement un pan de l’avenir de ce pays se trouve en point d’interrogation » (Olivier ALLOCHEME, Le Blog de Aymard).

Avis des Directeurs et Enseignants

Pour les directeurs/enseignants enquêtés les sentiments sur l’avènement du Nouveau Programme dépendaient des acteurs. Les acteurs déjà impliqués dans l’ancien programme, prévoyaient les lacunes éventuelles de l’APC. A entendre un enseignant, « La méthodologie de l’enseignement de l’APC est différente de celle de l’ancien Programme, elle nous soumettra à des travaux auxquels nous ne sommes pas habitués… » Cela prouve que le problème de la difficulté de la mise en application du Nouveau programme qui est d’actualité aujourd’hui avait déjà été évoqué lors de l’adoption du programme. Même certains syndicalistes c’étaient farouchement opposés, à l’image de Gaston Azoua enseignant membre de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB) qui s’insurgeait: « Vous savez bien que dans tout le monde entier on ne parle d’approche par compétence que si l’apprenant s’exprime bien dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas encore le cas au Bénin même si on a créé un ministère de l’alphabétisation qui d’ailleurs, est un recule de notre démocratie. J’ai deux enfants par exemple qui sont admis chacun à son examen de fin d’année avec ces nouveaux programmes mais, j’ai appris la nouvelle, j’étais fâché. » (L’Autre Fraternité 11-10-2011). Les enseignants de la CSTB avec à leur tête Gaston Azoua et Paul Issè Iko estimaient ainsi que ce programme ne cadrait pas avec l’enseignement béninois et formerait les apprenants au rabais. 

Certains par contre étaient optimistes. Ils croyaient que l’APC allait combler les attentes. Un enseignant disait à cet effet : « Au début, personne n’a eu de mauvais sentiments,… on pensait que c’était une bonne chose ».

Les avis sont unanimes sur les objectifs visés par le nouveau Programme. Il s’agit de la formation d’un « être multidimensionnel capable de s’adapter et apte à intégrer la vie sociale,… l’élève devient l’acteur principal de sa formation et la tâche de l’enseignant est celle d’un guide, l’enseignant n’est donc pas le seul détenteur du savoir, ce programme vise également la recherche de l’excellence à travers le développement de l’activité manuelle et physique de l’enfant… » 

« Les NPE (Nouveau Programme d'Etude) obéissent aux canons de l’APC, approche curriculaire au cœur des réformes scolaires contemporaines ( Jonnaert et M’Batika, 2004 ; Jonnaert, Ettayebi et Opertti, 2008 ; Roegiers, 2000). Les programmes par contenus et les programmes par objectifs laissent ainsi progressivement place aux programmes par compétences. Selon les promoteurs de la réforme, il s’agit de reconstruire les programmes d’études sur une base socioconstructiviste afin que les élèves acquièrent un ensemble d’attitudes, de savoir-faire et de connaissances leur permettant de résoudre des problèmes liés à des classes de situations, se faisant des compétences ouvertes et adaptatives afin de faire face aux enjeux sociaux du monde contemporain (Jonnaert, 2002 ; Jonnaert, Ettayebi et Opertti, 2008 ; Perrenoud, 1997) ». (Basile Agbodjogbé, Chantal Amade-Escot et Kossivi Attiklèmè, 2013).

Pour la plupart des enseignants enquêtés, l’approche par compétence est un système éducatif qui permet de construire l’apprentissage autour des aptitudes de l’élève. Avec cette approche, déjà à travers la disposition des apprenants dans les salles de classe, ceux-ci peuvent facilement échanger leurs connaissances entre eux et du coup, se donner les moyens d’avoir de bons résultats. Ceci dit, les enseignants estiment que sa mise en application pose problème. Pour cause, ils énumèrent le manque de mesures d’accompagnements, manque de manuels, l’effectif pléthorique, manque de formation du personnel enseignant, manque de matériels informatiques puisque, expliquent-ils, l’informatique est indispensable pour la mise en application du nouveau programme. «Comment voulez-vous que le système puisse être bien appliqué alors que les Etats-Unis d’où le programme a été importé est dix mille fois plus équipé que nous sur tous les plans ! » a commenté un enseignant. Au-delà de ces problèmes d’ordre matériel, les enseignants remettent en cause aussi l’implication des apprenants eux-mêmes. Ils reprochent aux élèves de ne pas accorder d’intérêts aux cours, de ne pas faire des recherches personnelles, bref ils soulèvent la question du manque de volonté des apprenants. Finalement, tous les enseignants enquêtés sont unanimes sur le fait que l’approche par compétence n’a pas comblé les attentes car le niveau des apprenants a considérablement chuté. A propos, un enseignant s’est prononcé: « les apprenants n’arrivent plus à lire et écrire. » 

Les enseignants/Directeurs et les syndicalistes mécontents du Nouveau Programme ont amené l’ancien gouvernement à prendre certaines décisions: la formation du personnel enseignant et la revalorisation de leur salaire. 

Les Elèves et l’APC

Les élèves enquêtés sont conscients que c’est le Nouveau Programme qui est pratiqué. Si on leur pose la question de savoir s’ils comprennent les cours, certains disent comprendre, mais d’autres par contre répondent non. Pour s’expliquer, ceux qui estiment ne pas comprendre les cours évoquent la complexité du système et l’incapacité des enseignants à expliquer correctement les cours. Ceux qui disent comprendre expliquent que les enseignants dispensent correctement les cours. La majorité des élèves enquêtés ont une moyenne comprise entre dix et quatorze. Les parents, nous disent certains élèves, ont été satisfaits de leurs résultats. D’autres par contre sont peu satisfaits, alors que d’autres ont été déçus. Pour compenser les lacunes de leurs enfants, certains parents ont engagé des répétiteurs. Mais faute de moyens financiers, d’autres n’ont pas pu en prendre.

Discussion

De ces données recueillies, on retient que les parents dans leur large majorité ne sont pas satisfaits des Nouveaux Programmes d’Etude. Pour pallier à cela, les parents riches engagent des répétiteurs pour leurs enfants alors que les parents pauvres sont impuissants face au système et sont obligés de juste déplorer les dégâts. Nous avons pu établir que la mise en application du programme pose de sérieux problèmes d’ordres financier, technique et méthodologique. Et cela, certains syndicalistes l’avaient déjà deviné avant même l’introduction du programme dans le système éducatif béninois. Par ailleurs, on peut ressortir le fait que certains acteurs impliqués dans le système éducatif avaient soulevé le problème de l’adéquation du système avec les réalités béninoises ; c’est-à-dire que le but de l’APC ne cadre pas avec la formation qu’attendent les parents de leurs enfants. Les deux hypothèses sont donc validées à savoir que les parents ne sont pas satisfaits des NPE et que sa mise en application rencontre d’énormes difficultés. Mais un résultat auquel nous ne nous attendions pas s’est aussi imposé : les objectifs des NPE ne cadrent pas avec les réalités du Bénin, et tous les acteurs n’étaient pas d’accord avec le programme dès le départ. Ces résultats viennent ainsi confirmer les travaux de Basile Agbodjogbé, Chantal Amade-Escot et Kossivi Attiklèmè sur la réforme des curriculums par compétences au Bénin qui déjà soulevaient la question du caractère controversé de l’introduction des NPE. Les résultats sur la capacité de certains parents contrairement à d’autres à engager des répétiteurs pour leurs enfants relèvent de la théorie conflictualiste de l’école des travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dont la thèse centrale est que l’école reproduit les inégalités sociale à travers des méthodes et des contenus d’enseignement qui privilégient implicitement une forme de culture propre aux classes dominantes (Vincent Troget ; Sciences humaines n® 161 – juin 2005).

Ces résultats, nous pouvons l’affirmer, répondent aux attentes de ce travail. En effet, notre objectif étant de comprendre les logiques qui sous-tendent le mépris de l’opinion publique aux NPE, nous l’avons atteint.

Néanmoins, nous pouvons craindre la généralisation de ces résultats étant donné que notre espace d’investigation n’est pas assez élargie. Nous nous sommes limités seulement à quelques écoles et collèges de la ville de Parakou.

Conclusion

En somme, cette étude nous a permis de faire ressortir les objectifs réels des Nouveaux Programmes d’Etude, de connaitre les logiques qui sous-tendent les indignations des parents d’élèves. Les autorités devraient ramener certaines rubriques notamment, la dictée-question, l’étude de texte, la récitation des leçons, c’est ce qu’exigent les parents. 

Il ressort généralement de cette étude que le système éducatif béninois nécessite de grandes réformes afin de répondre aux attentes des parents d’élève, d’être en adéquation avec les réalités du Bénin et de réconcilier les différent acteurs impliqués. 

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