L’évaluation des enseignants soignera-t-elle le système éducatif béninois ?

l'école au Bénin

Au Bénin, l’évaluation intellectuelle des enseignants relance les débats sur le système éducatif du pays.

Depuis un certain moment, l’opinion publique s’indigne du niveau des apprenants béninois. Il y de cela quelques années encore, le Bénin portait et revendiquait fièrement le surnom du « quartier latin d’Afrique ». A l’époque, on disait que le pays formait les plus grands intellectuels du continent africain. Mais ces dernières années, les résultats ne satisfont plus du tout ni les observateurs, ni les parents d’élèves. Les résultats aux examens nationaux sont catastrophiques. Le système éducatif est pointé du doigt. Plus particulièrement les nouveaux programmes d’étude encore appelés Approche Par Compétence est indexé et subit plus d’attaque que tous les autres aspects du système éducatif. 

Le niveau des enseignants est-il aussi primordial en APC ?

Si l’approche par compétence est désignée comme premier facteur des maux du système éducatif béninois, les élèves et les enseignants ne sont pas eux non plus épargnés. On reproche souvent aux élèves d’être de parfaits paresseux, d’être impolis, et tous les problèmes de ce genre. Quant aux enseignants, leur compétence est remise en cause. On leur reproche d’avoir été mal formés, de n’avoir aucune passion pour le métier. Pour la rentrée scolaire 2018-2019, le gouvernement Talon a entrepris d’évaluer le niveau des enseignants du primaire en leur faisant passer un examen. La majorité des enseignants se sont sentis insultés et ont boycotté les compositions. Les enseignants du secondaire ont à leur tour boycotté leur évaluation prévue pour le 12 janvier passé. 

Cette fixation sur le niveau des enseignants doit être remise en question, parce que le Bénin en adoptant l’APC place l’élève au centre de l’apprentissage. L’enseignant n’est plus censé détenir le savoir. D’une pédagogie du donner-recevoir, le Bénin est passé à une stratégie de partage de savoir. Les enseignants sont désormais des accompagnateurs, des médiateurs, des facilitateurs plutôt que des maîtres qui imposent ou écrasent de façon autoritariste, puisqu’une importante place est faite au travail de l’élève (travail individuel, en groupe avec les pairs et synthèse avec l’enseignant). 

L’importance de la relation enseignant-élève

Dans le schéma APC, la relation enseignant-élève s’avère d’une importance capitale. Pourtant, les relations entre les apprenants et leurs autorités depuis quelques années sont devenus compliqués au Bénin quel que soit le niveau où l’on se trouve. Qu’on soit au collège, au lycée, à l’école primaire ou autre. D’après la Psychologue Clarisse Napporn, par le passé, au Bénin, la personne de l’enseignant ou toute autre autorité éducative inspirait le respect et représente un modèle. La relation maître-élève, de l’école élémentaire à l’université, se caractérise par un rapport de pouvoir envisagé souvent comme un rapport d’autorité. Conformément à la culture africaine, qui fait de l’âge un critère de valeur, l’autorité de l’enseignant était perçue, au Bénin, comme un prolongement naturel de celle des parents jusqu’en 1990 environ. L’adulte ayant toujours raison, l’autorité exercée par le maître sur l’élève était rarement contestée. Mais depuis quelques années, ces rapports ont profondément été bouleversés. Il est donc important de se demander l’incidence que ce bouleversement a, ou pourrait avoir sur l’école au Bénin. 

Les relations maître-élèves peuvent en effet influer sur les performances des élèves, et cela n’est plus à prouver. En Psychologie sociale et en Sociologie, de célèbres expériences dont notamment l’effet Pygmalion révélé par l’expérience de Rosenthal, l’effet Matthieu ou encore l’effet Hawthorne le démontrent largement. Mais au Bénin, les études sur l’éducation tendent à négliger cet aspect. 

Pour mon mémoire de Licence, j’ai choisi d’étudier la relation enseignant-élève au Bénin. L’étude s’est limitée à un seul établissement public d’enseignement secondaire : le CEG1 Bantè. Le propos était d’interroger l’échec et la réussite scolaire au CEG1 Bantè en s’appuyant sur la qualité des relations qu’entretiennent entre eux, les enseignants et les élèves de l’établissement. Il en ressort que les réformes politiques et éducatives du Bénin associées aux habitudes de la population de Bantè ont été favorables à l’émergence d’une culture professionnelle locale qui influence négativement la relation enseignant-élève au sein de l’établissement. Tout cela contribue à produire des résultats contrastés en fin d’année : de mauvais résultats aux examens nationaux reflétant le vrai niveau des apprenants, et de meilleurs résultats en classe, fruits de pratiques de favoritismes et d’arrangements divers. 

Les résultats se placent dans la même ligné que ceux d’une étude de la Psychologue Clarisse Napporn sur la relation maître-élève et la question de l’autorité au Bénin menée dans les villes de Bohicon, Cotonou et Parakou. Comme les pratiques qu’elle a pu identifier dans les établissements qu’elle a étudiés : violences (verbales, physiques), absence de communication, vente forcée de travaux dirigés et d’épreuves, corruption, retenues abusives, mauvaises notes injustifiées, trafics divers, harcèlement moral et sexuel, etc., j’ai identifié celles en vogue dans l’établissement du CEG1 Bantè : familiarité entre les enseignants et les élèves, non implication des parents, la mystification des cours, l’exploitation des élèves, etc. Il faut noter que certaines pratiques énumérées dans les établissements ciblés par Napporn n’ont pas cours au CEG1 Bantè et inversement, du fait du statut beaucoup plus rural de ce dernier. 

La nécessité de s’intéresser aux spécificités internes des établissements

Au Bénin, les politiques se sont beaucoup intéressées au système éducatif national en le réformant de manière régulière à la recherche d’un système idéal qui allie entre autres performance, qualité d’enseignement, et type de formation et d’individu recherché. Les différentes réformes essayées à ce jour n’ont véritablement pas été à la hauteur des attentes. 

Pour comprendre l’échec scolaire au Bénin, les études se focalisent sur le contenu des curriculums et l’analyse de la fonction enseignante. La relation enseignant-élève est très négligée. Pourtant, plusieurs acteurs du système éducatif béninois jugent insatisfaisant la qualité de la relation enseignant-élève au Bénin 

Partir pour analyser et comprendre les rapports qu’entretiennent entre eux les élèves et les enseignants du CEG1 Bantè afin de faire le lien entre eux et les résultats des élèves, l’étude a largement atteint ces objectifs. Plusieurs pratiques propres à l’établissement du CEG1 Bantè ont d’une manière ou d’une autre trait aux relations enseignant-élèves. Les flirts entre enseignants et élèves, la familiarité, la non maîtrise du règlement intérieur de l’établissement, le séchage des cours, des élèves plus vieux que leurs classes, la non implication des parents dans l’éducation des enfants, les châtiments corporels, les favoritismes, les élèves forcés d’aller travailler dans les champs des enseignants, mésententes entre le personnel de l’établissement, les intimidations, etc. 

Ce travail, comme celui de Napporn a permis de trouver une explication (autre que la non qualification des enseignants, la non assiduité des élèves, la faiblesse de l’APC) au problème des échecs d’envergure aux examens nationaux. Il convient donc de lancer une vague d’étude pour mesurer l’effet établissement au niveau de chaque établissement scolaire béninois. Jusque-là, ces genres d’études sont négligés au Bénin, alors que ceux privilégiés n’ont pourtant pas montré des signes d’efficacité. Il faudra donc s’intéresser d’avantage à ce qui se passe au sein des établissements scolaires béninois, plutôt qu’aux programmes à enseigner et le niveau des enseignants.

Commentaires

  1. Il faut revoir le système d'apprentissage du primaire, même si nous devons gardé l'APC , il faut ramené la dictée question...

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    1. Merci pour votre intervention. Votre suggestion fait partie des propositions qui reviennent le plus souvent concernant les réformes du système. Nous en parlions d'ailleurs précédemment dans un article sur l'APC.

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